Les pages blanches

Erik Sven

photographe - auteur

Quand un libraire aux abois décide d'inverser la vapeur...


Les pages blanches


une nouvelle d'Erik Sven


paru dans "Du côté des librairies",

un recueil collectif de nouvelles édité par les éditions Murmure des Soirs


La librairie...

Le lieu de toutes les aventures, de toutes les passions, de toutes les rencontres, de tous les abandons.
Le lieu où s’exposent les fruits de milliers d’heures de veille et de doutes, parfois de vies entières dédiées à vous raconter des histoires, à vous transmettre d'indicibles messages, à vous plonger dans les plus grands mystères.
Le lieu qui a inspiré treize auteurs de la maison d'édition Murmure des Soirs.

Du côté des librairies, éd. Murmure des Soirs, Esneux, août 2020

EXTRAIT


On ne choisit pas l’amour, l’amour nous choisit.

─ Dommage, marmonne Arthur, en scannant le code-barre du livre que la cliente vient de lui tendre.

"Elle aurait pu s’offrir un autre titre. Dans un autre genre surtout", poursuit-il en pensées.


Depuis quelques années, la librairie d’Arthur ne tient quasiment plus qu’à ce fil-là: à ces piles de pages vite noircies et hâtivement reliées sous la couverture du développement personnel, amassées sur des présentoirs multicolores destinés à attirer le regard, à vendre une idée du bonheur.


Et tout le reste est littérature…


Elle est prolifique à croupir sur les étagères qui, en rangs serrés, tiennent debout les murs du magasin qu’un jour, en panne d’inspiration, Arthur a baptisé "Le Rimbaud". Pressées les unes contre les autres, en doubles et bientôt triples rangées, les âmes des écrivains attendent qu’un lecteur s’intéresse à leur sort et lève le voile sur leur vie sinon intime, du moins imaginaire. Ces écrits, Arthur les a lus pour la plupart, les a admirés souvent, détestés quelquefois, mais jamais il n’a pu s’en débarrasser en cas de mévente. Pour avoir tenté d’être un des leurs et avoir connu l’euphorie, le doute, l’acharnement, et puis l’échec, il mesure à quel point les livres sont vitaux à leurs créateurs. Il s’est donc donné pour mission de les tenir à disposition au-delà de leur dernier souffle promotionnel. Chez lui, pas de rebuts, ni d’envois au pilon. Même ratées, ces histoires constituent un art en soi, une invitation non seulement à la lecture, mais à l’exploration entre les lignes, à un plongeon dans les fêlures de l’autre pour échapper, ne fût-ce qu’un instant, à sa propre condition… À l’exact opposé donc de ces liasses – Arthur se refuse à les qualifier de "livres" – qui maintiennent désormais à flot sa librairie et dont la femme de l’autre côté du comptoir s’apprête à lui payer un exemplaire.


Autant lire des pages blanches.


─ Vous êtes gentil, vous!


(...)


RECENSIONS ET ARTICLES DE PRESSE


Samia Hammami

(Le Carnet et les Instants - le blog des lettres francophones)


Du côté de saint Jordi


Dans Éloge de l’amitié, Tahar Ben Jelloun écrivait: "Le libraire est l’ami du livre; pas de tous les livres, mais de ceux qu’il considère assez pour les transmettre aux lecteurs." La librairie se révèle en effet ce lieu singulier de passage, de partage, de mise en lumière, mais également de sélection, de choix, de défense. En parcourant étagères et présentoirs, le lecteur concentré devine l’orientation idéologique, l’impératif de qualité et parfois l’intérêt particulier du personnel qui la peuple. Car, oui, une librairie est peuplée de livres qui battent, chacun à sa pulsation, chacun à son tempo, et appellent leur lecteur prédestiné. C’est du moins la conviction d’une étrange libraire, aux envoûtements bohémiens et à la boutique évanescente, lorsqu’elle affirme : "Promenez-vous librement dans mon magasin, vous y trouverez peut-être ce que vous cherchez. Regardez tout autour de vous, prenez-les en mains, feuilletez-les, jusqu’à ce que vous tombiez sur celui qui vous dira : “Prends-moi, je t’attendais.” Car – savez-vous cela? – ce sont les livres qui nous choisissent. Ils nous attendent patiemment, sur une étagère, et puis quand nous passons à leur portée, ils nous appellent, et là… c’est inutile de vouloir résister."


Les livres sont vecteurs d’émotions, de contradictions, d’horizons, mais aussi de déclarations ("un pauvre petit bouquin" menacé du pilon s’avèrera un charmant support à l’amour d’une dame au peignoir parme) ou même de punitions (ne sous-estimez au grand jamais les ouvrages dont vous avez titillé la susceptibilité…). Ils décontenancent aussi, comme dans la "Réouverture" où des citoyens de Nouvelle-Bruxe ont été gagnés par le monde technologico-virtuel, au point qu’il soit nécessaire de leur préciser quelques concepts tombés en désuétude: "Books, comme livres. Dans le temps, on parlait de livres électroniques. C’est ce que signifie le terme e-book. Mais ici, on ne vend plus rien d’électronique, plus rien de e-, si vous préférez; on ne vend que des livres. Des vrais books, avec des pages et une couverture en papier." Entre autres magies, ils possèdent en outre le pouvoir d’enivrer ou déranger par leur odeur, à l’instar des librairies et des bouquineries qui recèlent aussi leur identité olfactive; n’est-ce pas le propre des "entités habitées"?


Du côté des librairies accueille en ses pages treize auteurs tous publiés chez Murmure des soirs. Sous les plumes successives de Jean-Pierre L. Collignon, Jean-Marc Defays, Paul De Ré, Pierre Hoffelinck, Michel Lauwers, Dominique Maes, Alexandre Millon, Marc Pirlet, Jean-Marc Rigaux, Martine Rouhart, Erik Sven, François Tefnin et Michel Van den Bogaerde, des univers réflexifs, nostalgiques, futuristes et fictionnels se dessinent autour d’un thème – voire d’une cause, en regard à la concurrence virtuelle, aux lois du marché et à l’évolution des pratiques – commun: cet espace de rencontres improbables, de passions divergentes, de solitudes entrechoquées, de sensibilités en pagaille, d’"affinités électives" que sont et doivent rester nos libraires… Là où, au "Rimbaud", dans la ruelle des Pinsons, chez François ou ailleurs, "[p]ressées les unes contre les autres, en doubles et bientôt triples rangées, les âmes des écrivains attendent qu’un lecteur s’intéresse à leur sort et lève le voile sur leur vie, sinon intime, du moins imaginaire"…


*


Article paru dans L'Écho du 12 septembre 2020


Nos libraires, ces héros


Dans chaque ville, se nichent quelques librairies tenues par des gardiens intrépides. Qui tiennent le coup face aux Amazones et aux pandémies. Coup de chapeau à ces héros...


Avez-vous déjà songé au rôle qu’a joué dans votre vie votre libraire favori? À la manière dont il a contribué à la formation de votre esprit, à l’évolution de vos pensées, à la somme de vos connaissances, à l’émergence de vos désirs, voire à l’infléchissement de vos fantasmes? Vous l’ignoriez peut-être jusqu’ici, mais voici un petit livre qui va vous aider à le (re)découvrir: les libraires sont pour la plupart des héros, des héroïnes, derrière leurs vitrines et leurs étagères ils vivent mille aventures, qu’ils ont la bonté de vous faire partager.


En ces temps de pandémie, où les lecteurs ont malheureusement tendance à délaisser les travées de leurs officines pour privilégier le milieu hyper-sécurisant des achats en ligne, il est utile de le rappeler, le claironner, le hurler: "Les libraires nous sont indispensables!" En chœur avec Françoise Salmon, la fondatrice des éditions Murmure des Soirs, qui publie un recueil de nouvelles tout entier dédié à eux: "Du côté des librairies".

Dans toutes les positions


Les treize auteurs de son "écurie" qui ont répondu à son appel à textes décrivent ces défenseurs du livre dans toutes les positions: debout, couché, à l’affût au fond de leur boutique, tapi derrière un rayonnage, assis sur le dos d’un monstre  ou prêt à sauver l’âme du chaland ayant osé se hasarder dans leur périmètre. Au fil des pages, des récits de parcours initiatique côtoient des romances, des disparitions, des métamorphoses. Certains lecteurs se transforment en livres, des livres apprennent à lire, deux libraires du futur démontent le mécanisme usurpatoire de l’e-book,  une bouquiniste tendance arachnide attire un bibliophile dans sa toile, un autre enseigne les affinités électives à un futur écrivain…


À l’image du métier de libraire, l’univers qui apparaît de paragraphe en paragraphe est vaste et polymorphe. La défense des œuvres qui composent ou reflètent la culture de chaque communauté est à la fois un sacerdoce et une vocation, une entreprise d’éducation et une agence de voyages, un appel à idées et une machine à déclics, une voie de consommation et une source d’inspiration. Lisez ce bouquin, faites la fête à votre libraire et retrouvez sans plus tarder le chemin de son antre…